Édito : une belle histoire de transmission, par Sylvère-Henry Cissé

Le frisson est garanti ce dimanche soir pas comme les autres. Devant ma télévision, j’attends avec fébrilité la finale du 100 mètres des championnats du monde d’athlétisme à Budapest. Comme près d’un milliard de téléspectateurs à travers le monde, je suis impatient de voir le départ des fauves, prêts à bondir des starting-blocks, pour aller chercher le titre de champion du monde de sprint. Cette course est toujours un moment particulier. Elle tend à l’extraordinaire lors de la finale olympique. C’est le seul événement, avec la coupe du monde du football, capable « d’arrêter » la rotation de la terre, de faire entendre le silence sur les champs de batailles. 10 secondes de course qui me prennent à la gorge. Pendant cette apnée me revient en mémoire le stade de France en 2003. Il y a 20 ans déjà, la séquence de toute une vie pour 8 sportifs hors du commun unis dans une dans magnifique rivalité. Il y a 20 ans déjà, un merveilleux grand événement sportif offert à la capitale. Il y a 20 ans déjà, restent le souvenir et la fierté de l’un des plus grands plaisirs que j’ai eu de ma vie.

Retour en arrière : Paris, janvier 2003, les organisateurs des championnats du monde d’athlétisme se voit assigner une impérieuse mission, d’un haut niveau de priorité par le gouvernement de Jacques Chirac : faire de cet événement une grande réussite pour montrer au monde que la France possède le savoir-faire pour recevoir les J.O 2012, pour lesquels elle est en concurrence avec Londres, Madrid, New York et Moscou. La société hôte en charge de l’événement est baptisée d’un drôle d’acronyme : TVRS 2003. Un mélange de lettres et de numéros qui évoque plutôt un programme scientifique ou une galaxie.

A la tête de TVRS 2003, Jean-Claude Morin et Essar Gabriel, assistés de Sophie Oddou et Eric Marot, inscrivent la musique dans la liste des chantiers essentiels à mener. En effet, Essar et Jean-Claude ont l’intuition qu’elle peut participer à magnifier le spectacle sportif. Ils souhaitent que le spectateur comme au cinéma soit porté par une bande originale. Mais comment faire ? Comment créer encore plus d’émotions dans un stade ? Comment associer la compétition et la musique, jusqu’à qu’elles ne fassent plus qu’un ? Le cinéma a trouvé l’écrin parfait avec la salle obscure. Les stades n’ont pas été construits dans l’optique de réaliser une symbiose entre ce que le spectateur voit et ce qu’il écoute.

Par le hasard des rencontres et sur la recommandation du compositeur Patrick Faure, la direction de TVRS 2023 me consulte et me demande de réfléchir à un concept innovant qui irait dans ce sens. Le lendemain, je reviens avec une idée.

« Vous voulez du cinéma ? Je recommande de nous inspirer de ses débuts ».

A l’époque du muet un pianiste ou un groupe soutenait l’intrigue en direct en improvisant à partir des scènes diffusées à l’écran. Pour que le spectateur se sente dans un stade comme devant un grand écran, je préconise de m’installer pendant les 9 jours des mondiaux comme sound designer, à la croisée de mes expertises sport et musique dans les médias. Jusqu’à présent les compétitions se contentaient d’un DJ enchainant des tubes entre les épreuves. Je soumets d’associer la musique aux épreuves, comme au cinéma, pour mieux ressentir l’émotion de la performance.

Je quitte le journalisme le temps de Paris 2003 et je me mue en architecte musical, avec l’obsession de sélectionner les musiques, les adapter, les mixer en direct pour coller au plus près aux performances des champions. Le système de sonorisation obsolète du Stade de France est changé pour obtenir une qualité hi-fi. Le poste de commandement du Stade de France est modifié et ouvert sur le stade pour je puisse améliorer la perception de l’instant, amplifier la narration des sentiments. 23 août 2003, enfin, tout est prêt pour la révolution.

Pour la première fois dans un stade, la musique classique accompagne les performances des athlètes. Les 400-800 mètres sur le Requiem de Verdi prennent une dimension fascinante, amplifiant l’émotion ressentie par la cadence des coureurs. Les Danse du sabre de Khatchaturian, Une nuit sur le mont chauve de Moussorgsky, Roméo et Juliette de Prokofiev, la danse polovtsienne de Borodine sur les 5000 et 10 000 m rapprochent le spectateur de la piste en condensant des tas de sentiments.

A partir de l’observation de la dramaturgie, des niveaux de tension dans le défi athlétique et de l’engagement des spectateurs dans l’enceinte et pour que les spectateurs ressentent un éventail d’émotions aussi large qu’au cinéma, je me mets en direct à l’écoute du pouls du stade, en liant l’instant et la musique. Comme un compositeur de bande originale j’agence des partitions pour soutenir et renforcer les émotions. Rien de mieux que les musiques de films pour y parvenir. Je remixe les B.O de films des compositeurs de légende, John William Bernstein, Lalo Schriffrin font partie intégrante du spectacle. Et ça marche !

L’exemple le plus frappant se déroule dans la moiteur de la fin de journée du 24 août 2003. Kenenisa Bekele et Haile Gebrselassie sont au coude à coude dans le dernier tour du 10 000 m. La cloche retentit. Les premières notes de Mission Impossible par U2 retentissent dans le stade. Les 50 000 personnes présentes au Stade de France se lèvent à l’unisson en seul cri en rugissant de plaisir. L’intensité de leurs sensations prend une ampleur différente avec le rythme martelé par bassiste du groupe irlandais. Ils sont littéralement emportés et en communion totale avec les deux éthiopiens à la lutte.

C’est une première dans une grande compétition d’athlétisme. Je prends un immense plaisir à accentuer la dramaturgie de la reine des épreuves, en installant au départ du 100 m une nappe de synthé basse descendante pour inviter le public à respecter le silence assourdissant quand les sprinters se calent dans les starting-block. Les puristes et la presse sportive détestent cette combinaison inédite et le font savoir haut et fort. Mais ils déposeront les armes devant l’évidence. Le public adore. Les athlètes aussi, ils seront nombreux à me remercier et ils reconnaîtront que la musique a été une belle complice pendant l’effort.

Paris 2003 est une réussite. Mais il n’aura que peu d’influence sur le vote des membres du CIO qui attribueront les JO 2012 à Londres. Heureux de cette belle parenthèse estivale, je m’en retourne vaquer à mes occupations dans les médias, conscient d’avoir participé à la création d’un magnifique projet et à la matérialisation d’une idée.

6 années s’écoulent. 2009, je suis à nouveau sollicité. La Fédération Française d’Athétisme n’est pas satisfaite de l’exploitation de la musique par les DJ’s. Ils ont les plus grandes difficultés à sortir de la dictature du beat et n’arrivent pas à intégrer d’autres champs musicaux. La FFA me demande de redevenir coloriste musical pour les meetings Elite. Certes, j’ai pu faire ponctuellement une pause de 10 jours au cœur de l’été 2003 pour les championnats du monde, mais je suis tout à mon métier dans la matinale de Canal+, où je présente le journal des sports. Me vient alors l’idée de faire la soudure en transmettant le témoin à mon jeune frère passionné de musique. C’est ainsi que je communique à Sala Cissé mon expérience emmagasinée à Paris 2003. 2 années durant, mon cadet est aux manettes.

Moi, l’ainé, je reste en arrière et je penche parfois pour dispenser des conseils dans le creux de son oreille. Nous partagerons une ultime expérience sur les championnats d’Europe en salle à Bercy en 2011. Je donne un dernier conseil à mon jeune frère « créé et affirme ton style en pensant toujours aux athlètes et au public ».

Le compagnonnage est bénéfique et le conseil appliqué à la lettre. Mais celui qui se nomme dorénavant DJ Sala, le fait en épousant l’air du temps. De la musique de film et la musique classique DJ Sala passe aux nouvelles musiques et aux bandes originales de jeux vidéo, la première industrie de loisirs au monde. Il s’installe aux premières loges des plus grandes compétions d’athlétisme. Meetings Elite et ligue de diamant, championnat de Grande-Bretagne, les JO de Tokyo 2021 sans public en raison de la COVID, championnats du monde et récemment les Championnats du monde de para athlétisme, depuis 12 ans DJ Sala est devenu un rouage qui compte de plus en plus dans la création du spectacle sportif. A tel point qu’il a été invité avec ses platines à partager l’affiche aux côtés de Yannick Noah, Amel Bent, DJ Abdel, The Avener et Breakbot lors d’une série de concerts aux mondiaux de para athlétisme. Une forme de consécration pour l’artiste qui conçoit avec la musique des histoires dont le public dorénavant éduqué à cette partition se saisit complétement.

DJ Sala est parvenu à un niveau d’excellence rarement égalé dans le monde. Il le démontre en ce moment à Budapest, où se déroulent les championnats du monde 2023. J’ai façonné une ébauche, mon frère l’a ciselée. Il est parvenu à un niveau de maturité et de maitrise de l’architecture musicale sportive qui en fait dans son domaine un incontournable. Contacté par d’autres fédérations sportives nationales et internationales, DJ Sala va vivre des moments d’une intensité rare, avec Paris 2024 en point de mire.

En écrivant notre histoire commune, j’ai une pensée pour Mamadou-Mathieu et Madeleine, mes chers parents disparus, qui auraient été tellement fiers de voir une belle transmission de témoin et mon frère exceller dans une belle discipline.

Sylvère-Henry Cissé

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